Le sondage Ifop-Acteurs publics paru début mars nous apprenait que Emmanuel Macron recueillait les meilleures intentions de vote chez les fonctionnaires. S’il ne s’agit que d’un sondage (avec tous les travers que cela suppose), paru voilà plusieurs semaines déjà, il ne manque cependant pas d’interroger. Comment comprendre qu’un président qui a fait reculer le secteur public et les droits dans la fonction publique continue à recueillir les meilleures intentions de vote de la part des fonctionnaires ?
Les gouvernements durant le mandat qui vient de s’écouler n’ont eu de cesse d’attaquer le secteur public : privatisations (Française des jeux, Office national des forêts) ; externalisations ; casse du statut de fonctionnaire à la SNCF ; loi du 06 août 2019 dans la FPT (recours accru aux contractuels, augmentation du temps de travail, individualisation des salaires, etc.). En parallèle, le recours à des cabinets de conseils – qui coûtent une fortune aux contribuables, ne payent pas d’impôts et travaillent à saper le service public – n’a jamais été aussi important en France.
Le sondage précise que les fonctionnaires ne constituent pas un bloc monolithique, les catégories A voteraient davantage Macron que les B ou les C, tandis que ces derniers privilégieraient M. Le Pen. S’il est relativement cohérent que les cadres et les hauts fonctionnaires se retrouvent dans l’idéologie managériale de Macron, comment comprendre que des agents confrontés au manque de moyens, à la justification permanente de leur action ou à un management absurde fassent le même choix ?
Évidemment, il n’y a pas de réponse unique, mais un faisceau d’éléments : reconduire la même personne au même poste est rassurant ; le pouvoir dissimule brillamment ses intentions ; les agents du service public mesurent peu ou mal les conséquences des « réformes » engagées ; celles et ceux qui sont titulaires ne seront pas impactés par l’accroissement d’un recours aux contrats ; les autres candidats ne parviennent pas à convaincre ; le discours sur la nécessité de transformer la fonction publique s’est imposé dans la tête des fonctionnaires ; l’idéologie managériale passe pour « moderne » à l’opposé d’une fonction publique critiquée – à tort – pour son « archaïsme » ; les syndicats ne parviennent ni à faire comprendre les enjeux des « réformes » ni à s’opposer à leur mise en place.
Si aucun élément ne permet d’embrasser totalement le problème, il est impératif de comprendre ce phénomène d’auto-sabordage, car les libéraux n’auront de cesse d’attaquer le secteur public pour l’argent, par idéologie ou pour affaiblir les droits des agents. Il faut donc que les millions d’agents publics (un salarié sur cinq en France) confrontés aux mêmes logiques managériales qui rendent leur travail absurde, les éloignent du service à la population et des valeurs d’égalité prennent conscience de leurs intérêts et les défendent.
Pour mener à bien ce travail de fond, nous pouvons nous appuyer sur des ouvrages comme La valeur du service public, qui raconte la mise à mal des services publics et ses conséquences pour les citoyens, les agents et l’ensemble du corps social. Tous les acteurs – syndicats, agents, élus, citoyens ou collectifs – qui veulent enrayer la destruction des services publics doivent y prendre part, tant les enjeux sont majeurs. « Les services publics, c’est l’anti-Zemmour, c’est la protection dans le mélange et l’égalité sociale qui ne regarde pas les prénoms », explique le sociologue Willy Pelletier.
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Photo : Teymur Mirzazade.