Trop de fonctionnaires ? – par Emilien Ruiz

Valérie Pécresse, qui n’était pas encore investie à la présidentielle pour le parti Les Républicains, expliquait en octobre 2021 vouloir supprimer 200 000 postes de fonctionnaires. En 2017, c’est Emmanuel Macron qui promettait la suppression de 120 000 fonctionnaires d’ici 2022. Si ces deux exemples sont récents, Émilien Ruiz démontre dans son ouvrage que cette obsession française pour le nombre de fonctionnaires remonte à la Révolution de 1789.

Évidemment, une telle permanence dans les discours politiques recouvre des réalités différentes : certains avaient peur d’une confiscation bureaucratique en lieu et place de la volonté populaire, Philippe Pétain considérait les fonctionnaires comme responsables du désastre de 1939, d’autres voulaient faire reculer l’État ou encore faire des économies.

En revenant sur cette histoire, Émilien Ruiz bat en brèche de nombreux lieux communs, comme celui qui voudrait que le nombre de fonctionnaires augmente parce que ces derniers ont une capacité intrinsèque à se multiplier et à vouloir toujours plus de subordonnés (pour travailler le moins possible). Parmi les facteurs expliquant l’accroissement du nombre de fonctionnaires, l’auteur nous apprend qu’il y a les deux guerres mondiales : celles-ci ont provoqué le recrutement d’un grand nombre de contractuels, mais les besoins sont restés au-delà des conflits. Autrement dit, ces augmentations se sont faites dans l’urgence et le désordre, elles ne sont pas le fruit d’un consensus froid.

Concernant la création du statut de fonctionnaire en 1946, elle a partie liée à la volonté de ne pas attribuer de droits syndicaux aux fonctionnaires (et avec eux le droit de grève), tant les luttes sociales étaient fortes à l’époque et redoutées par certains républicains. Ces derniers préféraient attribuer aux fonctionnaires des droits statutaires allant de pair avec les devoirs.

La création du statut – et l’indépendance qu’il permet – a également à voir avec la collaboration des fonctionnaires sous le régime de Vichy. Les chiffres sont sidérants : 80 % des diplomates se sont mis au service du régime vichyssois, 90 % des préfets ont secondé l’occupant, la totalité des magistrats moins un ont prêté serment au « chef de l’État », et huit déportés sur dix ont été préalablement arrêté par la police française. Ces chiffres, rapportés par le communiste, résistant et avocat Paul Vienney, lui faisaient dire qu’il ne suffisait pas de changer les hommes, mais bien les institutions et leur fonctionnement.

À travers ce livre remarquable et foisonnant d’informations, Émilien Ruiz nous permet de mettre en perspective le rapport de la société française à ses fonctionnaires, loin des chiffons rouges agités aux seules fins politiciennes. Comme il l’explique lui-même, la question du nombre de fonctionnaires recouvre la question du périmètre d’intervention de l’État dans l’espace social, et loin de la seule approche budgétaire, il s’agit là d’un enjeu politique majeur.

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