La notion de « savoir-être » imprègne chaque jour davantage l’espace public. Si vous tapez savoir-être dans un moteur de recherche, c’est le site de Pôle emploi qui arrivera en premier. Et si vous tendez l’oreille à votre travail, de très nombreux recruteurs avouent accorder plus d’importance au savoir-être qu’au savoir-faire lui-même.
Rappelons que le savoir-être est le troisième élément du triptyque lié aux compétences professionnelles : savoir, savoir-faire et savoir-être. Cette notion managériale s’est imposée d’autant plus facilement qu’elle semble aller de soi : toute personne qui ne saurait pas se comporter poserait un problème à son organisation, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un service public. C’est évident.
Mais derrière une apparente évidence, la notion de savoir-être pose de nombreuses questions.
Déjà, on peut s’interroger sur la possibilité d’évaluer le savoir-être d’une personne en 20 ou 30 minutes dans un bureau. Question d’autant plus significative que la personne intéressée par le poste essaie de montrer le meilleur d’elle-même.
Pire, certains recruteurs prétendent être capables de se faire une idée sur le savoir-être du candidat en quelques minutes. On peut alors se demander s’il ne s’agit pas d’un « délit de sale gueule », plutôt qu’une évaluation réelle de compétences professionnelles.
De même, privilégier le savoir-être au savoir-faire, n’est-il pas un moyen pour le recruteur de se donner toute latitude en matière de recrutement ? Si on peut évaluer objectivement des compétences (maîtriser un logiciel, avoir mené tels travaux, actions ou projets, avoir suivi telle formation, etc.), comment objectiver un ressenti sur le savoir-être ? Si deux recruteurs ont un ressenti différent sur le savoir-être d’un candidat, de quoi vont-ils discuter ? De posture ? De rouge à lèvres ? De nœud de cravate ? D’accent ?
C’est précisément en ça que la notion de savoir-être draine avec elle une grande violence. Pour un candidat recalé, il est difficile de s’entendre dire : « manque de savoir-être » ? Et les recruteurs qui n’oseront pas exprimer leurs ressentis subjectifs inventeront des critères bidons, tout aussi humiliants pour les candidats.
S’il est possible d’acquérir une compétence, est-il possible de savoir-être mieux ? Si oui, faut-il faire appelle à un life coach avant le prochain entretien d’embauche ?
Le manque de savoir-être déborde de façon insidieuse les seules compétences professionnelles pour inclure l’individu dans sa totalité. En ça, il s’agit d’une colonisation de la vie des personnes par le management.
Évidemment, l’affecte entre toujours en compte dans les recrutements. Entre deux candidats aux compétences égales, le recruteur choisira toujours celui qui lui semble le plus sympa, a fortiori s’il est amené à le côtoyer régulièrement au travail. Cet aspect des choses est indépassable, même avec la meilleure volonté possible.
Cependant, il nous semble essentiel de toujours rabattre ce qui concerne les compétences professionnelles sur du savoir-faire et en aucun cas sur du savoir-être. De cette manière, on borne les manques professionnels sur quelque chose d’atteignable, avec des éléments concrets, plutôt que sur l’ensemble de la personne. Et on limite la subjectivité des recruteurs.