Philippe Créhange, grand reporter au journal Le Télégramme, a mené durant deux ans une enquête sur un lobby patronal, le Club des Trente, qui regroupe les chefs d’entreprise les plus puissants de Bretagne – en 1989, les membres de ce cercle pesaient « 50 milliards de francs pour plus de 33 000 emplois » (p.52). Pour ne citer que les plus connus, Claude Guillemot, François Pinault, Louis Le Duff, Vincent Bolloré ou encore Yves Rocher ont appartenu au club. Le lobby a été créé à la fin des années 80 avec l’ambition de défendre l’économie libérale en Bretagne. À l’instar du CELIB, cela passait aussi par des infrastructures, la LGV ou le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes furent deux objectifs présents dès la naissance du cénacle.
La volonté de discrétion est un des marqueurs du club : pas de structure administrative, pas de siège, pas de cotisation, pas d’intervention publique (au départ), et une certaine réticence des membres à s’afficher publiquement. D’où la dimension « mystérieuse » du Club. C’est donc la principale force de l’ouvrage que de retracer l’histoire de ce cercle. À travers de nombreuses anecdotes, témoignages ou compte-rendu de réunion, Philippe Créhange nous raconte le club, ses débuts, ses ambitions, ses réseaux politiques sans omettre ses conflits ou la situation dans laquelle il se trouve actuellement.
L’auteur conclut son ouvrage en se demandant ce que le club est parvenu à « gagner » politiquement, notamment au regard de ses objectifs de départ, à savoir la réalisation de la LGV et de l’aéroport de NDDL. En ce qui concerne le premier dossier, il aura fallu près de trente ans pour que la LGV voit le jour, mais elle n’arrive pas jusqu’à Brest (certains membres pensent même que le club n’y est pas pour grand-chose). L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes quant à lui a été abandonné en 2018. Les seules « victoires » qui semblent évidentes à l’auteur, ce sont « des actions ciblées auprès de certains élus capables de défendre des politiques protégeant notamment la transmission de leur patrimoine ou favorisant une libéralisation de l’économie, grâce notamment au statut d’autoentrepreneur. » (p.222) Plutôt maigre donc, au regard de la puissance des acteurs en présence.
La question qui vient est alors la suivante : pourquoi le club existe-t-il depuis aussi longtemps s’il ne parvient qu’à remporter « si peu » d’arbitrages ? Deux hypothèses se présentent. Dans la première, l’influence réelle du club est restée méconnue aux yeux de Philippe Créhange lui-même, le lobbying s’est fait de manière encore plus discrète que supposée. Dans la seconde, plus probable et plus rassurante, c’est que même des gens puissants et organisés ne parviennent pas à imposer leur vue autant qu’ils le voudraient.
Si le Club des Trente existe depuis si longtemps, ce n’est pas tant qu’il atteint ses objectifs en matière d’aménagement du territoire, mais parce qu’il permet à des patrons libéraux de se rencontrer pour faire du business. Et quoi qu’on en pense, cela a peu à voir avec l’attachement supposé du club à la Bretagne.
—
Le mystérieux Club des trente, Philippe Créhange, Les éditions du coin de la Rue, 236 pages, 2019, Langrolay-sur-Rance.