A propos de la plainte de Darmanin à l’endroit d’un syndicaliste brestois

Qu’un homme en charge de la sécurité de 68 millions de français·es prenne le temps de porter plainte contre un syndicaliste « à la tête » d’un canard qui tire à 1000 exemplaires en dit long sur le malaise dans l’institution policière.

Le 19 avril 2024, un syndicaliste brestois – Olivier Cuzon – était entendu par la brigade criminelle de Brest suite à une plainte du ministre de l’Intérieur. Le motif supposé ? « Diffamation et injure publiques à l’encontre de la police et de la gendarmerie ». C’est un article du journal SUD Éducation 29 concernant les « classes défense et de sécurité globale » – un dispositif visant à renforcer les liens entre l’armée et la jeunesse – qui est mise en cause. En particulier ce paragraphe : « ce questionnement est important quand on connait la culture droitière, misogyne et homophobe sous de trop nombreux képis. Les enquêtes de Médiapart révélant l’existence de groupuscules nazis dans certaines casernes, les groupes de discussion racistes des policiers et gendarmes, ou la participation récente de militaires en civil à la répression des dernières émeutes de banlieues ne plaident pas en faveur du républicanisme des militaires. »

La « feuille de chou » syndicale étant plutôt modeste avec son tirage à 1 000 exemplaires (plus sa version numérique), cette plainte de Gérald Darmanin en dit beaucoup sur la fébrilité du pouvoir, et les rapports de forces au sein des institutions policières. Il faut voir, dans la plainte du ministre de l’Intérieur, un double message.

Le premier et le plus évident est celui de l’intimidation. En portant plainte contre un syndicaliste directeur de publication d’un modeste journal, le ministre de l’Intérieur signifie que personne n’est à l’abri : aujourd’hui, c’est un syndicaliste, mais demain, cela peut-être n’importe qui. Il s’agit pour le ministre de l’Intérieur de pousser implicitement à l’autocensure. Toute critique des institutions policières et militaires, aussi fondée soit-elle, peut s’attirer les foudres de la place Beauveau.

Le second message s’adresse aux policiers et aux militaires eux-mêmes. Gérald Darmanin leur signifie qu’il « mouille le maillot » pour eux, et qu’il est prêt à « se faire du gauchiste ». Que l’on se souvienne de la mansuétude crasse de G. Darmanin à l’endroit des agriculteurs de la FNSEA, et l’on mesure la dimension répressive et politique de cette plainte contre Olivier Cuzon.

Évidemment, il serait inepte de prétendre que tous les policiers et gendarmes sont racistes – ce que, précisément, ne dit pas le texte de SUD Éducation 29. Autant, il est ridicule de prétendre qu’il n’y a pas de racisme dans la police et l’armée, tant sont nombreux les enquêtes et les témoignages qui démontrent ce phénomène. C’est pourtant ce que sous-entend la plainte du ministre de l’Intérieur, qui déploie davantage d’énergie à lutter contre celles et ceux qui critique le racisme dans la police et l’armée, que contre les racistes eux-mêmes. Comme si il suffisait de briser le thermomètre pour faire disparaître la maladie.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, le procureur de la République n’a pas arrêté sa décision d’engager ou non des poursuites à l’endroit d’Olivier Cuzon. Mais au-delà de ce rendu, G.Darmanin a déjà réussi son opération médiatique : intimider les personnes critiques des institutions policières, et flatter les policiers et les gendarmes qui n’acceptent aucune remise en question.

* * *

Quelques sources sur le racisme dans l’armée et la police :

* * *

Crédit visuel : OpenClipart-Vectors