Dissonances – Vers Tralee [8/21]

J’avais échoué en rase campagne sur un carrefour de la N86, la route principale qui menait à Tralee depuis Dingle. Voilà deux heures que j’essayais de quitter le spot, des saluts amicaux et quelques doigts d’honneur rythmaient l’attente mais aucune voiture ne s’arrêtait. Et ça risquait de durer encore longtemps, le croisement s’avérait des plus dangereux. Le conducteur précédent m’avait déposé là sans réaliser que les voitures ne pouvaient pas stationner, sauf à mordre la route une fois arrêtées. Ne sachant pas s’il existait un meilleur emplacement à proximité, je n’avais d’autre choix que d’espérer, le pouce levé, un chauffeur téméraire.

J’attendis une heure encore, un type à la quarantaine élégante, chemise blanche et barbe soignée proposa de m’emmener jusqu’à Anascaul, une bourgade située à une quinzaine de kilomètres. J’acceptai son offre sans hésiter, je déposai mon sac à l’arrière puis je montai à bord de la Mazda noire où le chauffage tournait à plein régime. Le conducteur m’invita à enlever mon pull pour me mettre plus à l’aise et redémarra aussitôt. Rapidement, l’homme évoqua son travail de kinésithérapeute qu’il effectuait auprès d’une clientèle de handballeurs et de volleyeurs semi-professionnels. Tout en écoutant ses anecdotes croustillantes sur les sportifs, je jetais un œil au compteur de la bagnole qui semblait n’avancer à rien. Et en effet, nous roulions à soixante-dix alors que la vitesse maximale autorisée était de cent kilomètres- heure.

— dans mon métier dit-il, je m’attache à l’ensemble du corps mais à titre personnel, je m’intéresse aux pieds. Ce membre me fascine, il est d’une grande richesse sur le plan médical et psychologique, surtout si on couple les connaissances orientales et occidentales. Savais-tu que la forme du pied pouvait révéler le caractère d’une personne ?
— absolument pas, répondis-je en secouant la tête.
— il existe différentes formes de pieds, le carré, l’égyptien ou le romain qui ont chacune leurs spécificités. La taille joue un rôle également, les petits pieds supposent un caractère instable ou changeant au contraire des grands qui manifestent l’audace. Si tu me montres ton pied, je te dirai à quelle catégorie il appartient.
— il vaut mieux pour nous deux que je garde mes chaussures.
— si tu préfères, je peux faire circuler ton souffle vital en m’appuyant sur tes chakras.
— je ne suis pas certain de comprendre, avouai-je.
— les chakras sont des points d’énergie alignés sur l’axe de la colonne vertébrale. Un des nœuds les plus importants se situe au niveau du bassin, les hindous l’appellent svadhisthana. Je vais te montrer. Tout en conduisant le mec tendit son bras vers moi, passa la main sous mon t-shirt, tâtonna quelques instants puis exerça une légère pression avec deux doigts sous mon nombril. Je n’opposai aucune résistance.
— je déboutonne ton pantalon dit-il, ce sera plus confortable.

Je ne connaissais rien à la médecine ni à l’hindouisme mais selon moi, le type s’intéressait davantage à ma bite qu’à mon « souffle vital ». Mon intuition se révéla juste, après avoir déboutonné mon jean sa main glissa insidieusement de mon bas-ventre sous mon caleçon, il palpa ma zone pubienne brièvement avant de saisir mon sexe à pleine main.

N’ayant jamais eu de relation gay je constatai avec effarement ma puissante érection. Je laissais faire le bonhomme qui me caressait en douceur. Il quitta la nationale, roula encore trois kilomètres environ et lâcha ma queue pour s’engager sur un petit chemin cabossé. Aucun de nous ne parlait, il devait sentir ma gêne. La voiture s’arrêta, il détacha sa ceinture et goba aussitôt ma verge. J’inclinai le dossier d’une main, j’agrippai ses cheveux de l’autre pour accompagner les mouvements de sa tête. L’homme possédait une technique des plus efficaces, il était particulièrement doué et ne tarda pas à me faire jouir. J’éjaculai au fond de sa gorge, il gémit de plaisir.

Je remontai mon pantalon, il s’essuya la bouche d’un revers de main. Il me tendit une clope, on sortit fumer à l’extérieur de la bagnole. Assis à l’avant du capot chacun de nous aspirait de grandes bouffées de cigarette, les braises crépitaient dans un silence pesant. Dans le champ d’à côté, un agriculteur passait au volant de son tracteur, le kiné jeta son mégot dans le fossé et m’invita à remonter dans la Mazda.
— je vais te déposer à Annascaul.
— merci, répondis-je.
— il y a un parking à la sortie du bled, les voitures peuvent s’arrêter facilement.
— c’est parfait.
On n’échangea pas un mot durant le trajet, le type me lâcha sur le parking d’un restaurant ouvrier. Je lui serrai la main avant de quitter le véhicule, l’auto fit demi-tour et fila vers Bunaneer.

Déboussolé par ce qui venait de m’arriver, je retournai dans le bourg pour m’engouffrer dans le premier pub venu. À l’intérieur, trois clients sirotaient leur bière devant un match de foot télévisé, je pris place à leur côté. Il me fallait un truc fort pour me remettre les idées en place, je commandai un whisky dix ans d’âge. Je sifflai un premier verre, puis un second et enfin un troisième avant d’y voir plus clair. Conclusion : la technique de drague était minable mais la prestation impeccable.

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« Dissonances » est disponible en version papier ou PDF sur le site de l’éditeur : https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=66949

Crédit photo : David Dixon (CC-BY-SA-2.0) ; M 93 (CC-BY-SA-3.0)