Il était tôt encore, je quittai l’appartement après avoir coupé l’eau et fermé la bouteille de gaz, arrosé les plantes et éventré deux sacs de croquettes pour chat sur le carrelage. Je fermai la porte derrière moi, je pris une grande inspiration et je levai les yeux au ciel. Le soleil brillait déjà de tous ses feux, une journée magnifique s’annonçait.
J’empruntai le tramway pour rejoindre la sortie de Nantes puis je m’installai au bord de la quatre voies muni d’une pancarte « Rennes », ville où je devais attraper mon train d’ici quelques heures. Une voiture s’arrêta rapidement sur
le bas-côté, une Clio rouge immatriculée dans les Yvelines. La vitre s’abaissa, la femme au volant m’apostropha à travers la portière.
— je peux t’emmener mais je dois faire un crochet chez une amie auparavant, ça ne devrait pas être trop long.
— je ne suis pas pressé, répondis-je.
— dans ce cas, le coffre est ouvert.
Je déposai mon sac à l’arrière et je pris place dans le véhicule, celui-ci redémarra aussitôt pour ne pas perturber davantage la circulation.
— Louise Le Hyaric dit-elle en me tendant la main.
— Pierre, Pierre Sterenn, dis-je en la saluant. Merci de t’être arrêtée.
— tu attendais depuis longtemps ?
— à peine dix minutes.
Une fois les salutations effectuées, je réalisai que la conductrice était sublime. Grande, avec de longs cheveux blonds, des épaules fines et des jambes longilignes qui se perdaient sous le volant. Sa beauté irradiait l’habitacle de la voiture comme l’explosion d’une bombe H dans une boîte à chaussure.
La discussion s’engagea naturellement, Louise étudiait l’histoire à la Sorbonne pour devenir archéologue, elle évoquait ses études avec passion et semblait déterminée à atteindre son but. Ses parents habitaient la région nantaise, elle leur avait rendu visite ce week-end et aujourd’hui, elle aidait son amie à emménager sur Rennes avant de remonter sur Paris. La conversation filait bon train, on aborda Fred Vargas, le passage Pommeraye et Royal de luxe, je profitais de nos échanges pour admirer ses jambes brunies par le soleil.
On arriva à destination après quarante-cinq minutes de route, ses deux amies l’attendaient déjà devant une grande maison en pierres blanches. Ma présence incongrue fut bien accueillie, ça faisait une paire de bras en plus pour le déménagement. Sandrine, une des deux copines, investissait les lieux où vivaient déjà trois autres étudiantes. Elle avait peu de meubles, ses affaires furent rapidement transportées du camion à la chambre et une demi-heure après notre arrivée, nous sirotions une bière sur la terrasse en bois qui surplombait le jardin attenant. Je n’avais aucune idée du coût de la location mais ces petites malignes avaient eu le nez creux, la propriété était magnifique.
Le verre terminé on salua ses amies puis on remonta à bord de la Clio pour parcourir les derniers kilomètres jusqu’à Rennes. Nos échanges portèrent à nouveau sur Nantes, la scène du Lieu unique notamment et l’ancien musée de la machine à coudre. Tout en évoquant ces sujets la miss montrait des signes de fébrilité, quand ses doigts ne jouaient pas avec ses cheveux ils tapotaient nerveusement le volant. Pour avoir lu de nombreux magazines féminins à ce propos – ceux de mon ex-femme qui en raffolait – je savais reconnaître les manifestations du désir. Si on se passait la langue sur les lèvres par exemple, c’est parce que l’excitation sexuelle provoquait en nous un dessèchement de la bouche… un geste que Louise, précisément, répétait depuis qu’on avait quitté ses copines.
— tu vas où dans Rennes ? demanda-t-elle.
— je vais à la gare mais tu peux me déposer avant, ça t’épargnera le centre-ville.
— va pour la gare, le déménagement a été plus rapide grâce à toi.
— je voudrais pas abuser.
— pas de souci, répondit-elle.
Louise cherchait à gagner du temps, ce détour par le centre-ville lui offrait quinze minutes de plus mais je ne comptai pas attendre un geste de sa part pour tenter ma chance. Un panneau indiquant une aire d’autoroute me fournit l’opportunité que j’attendais. Je posai ma main sur sa cuisse.
— on ne va pas se quitter comme ça dis-je d’une voix virile, on peut s’arrêter sur l’aire de repos.
Au contact de ma main Louise sembla surprise, elle eut un geste réflexe comme une manière de soubresaut. Elle me jeta un regard effaré, saisit mon poignet avec fermeté et repoussa mon bras. Elle enclencha ses warnings, freina brusquement et s’arrêta sur la bande d’arrêt d’urgence.
— dégage, dégage immédiatement m’assénât-elle.
— tu plaisantes ? On est sur la quatre voies, c’est hyper dangereux.
— dégage j’te dis, c’est les connards comme toi qui sont dangereux.
Je sortis de la bagnole déstabilisé par la violence de sa réaction et inquiet car je devais encore récupérer mon sac
dans le coffre. Si Louise se barrait avec, mon séjour était foutu. Elle la joua réglo et patienta le temps que je récupère mon bagage. Elle démarra en trombe sitôt le coffre refermé tout en prenant soin de m’adresser un doigt d’honneur.
Première étape en demi-teinte puisqu’il me restait encore dix bornes à faire le long de la voie rapide. Entre l’asphalte et les gaz d’échappement la randonnée n’était pas des plus bucoliques mais cela en valait la peine, j’avais réussi à tripoter Louise quelques instants.
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« Dissonances » est disponible en version papier ou PDF sur le site de l’éditeur : https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=66949
Crédit photo : IngolfBLN (CC-BY-SA-2.0) ; Édouard Hue (CC-BY)