Lorsqu’il est question de chasse ou de consommation de viande, on retrouve souvent un même argument : les chasseurs et les carnivores invoquent leur liberté individuelle et demandent simplement à ce qu’on les laisse tranquilles. Ce raisonnement, qui peut sembler de bon sens au premier abord, n’en demeure pas moins fallacieux. Deux exemples.
Willy Schraen, président de la Fédération française de Chasse, intervenait sur France Inter le 18 août 2020 : « arrêtons d’emmerder les Français, arrêtons d’emmerder les ruraux, laissons les gens tranquilles : une fois que ça n’a pas d’impact sur les autres, ça dérange qui ? »
Le premier problème ici est d’ordre philosophique, puisque la phrase pose indirectement la question du statut ontologique des animaux. Dire « que ça n’a pas d’impact sur les autres », c’est nier absolument la qualité d’individu des animaux. Or, le statut ontologique des non-humains est précisément un des enjeux de la crise écologique. Ensuite, si la chasse tue beaucoup moins que les accidents de la route ou que la pollution de l’air, elle est tout de même source de souffrance et de drames. En 20 ans, on recense 2 792 accidents de chasse, dont 410 ont été mortels. Sur le plan écologique finalement, les chasseurs déversent en Europe 21 000 tonnes de plomb chaque année dans la nature. Entre un et deux millions d’oiseaux meurent ainsi, chaque année, par contamination ». Peut-on encore, dès alors, prétendre que la chasse « n’a pas d’impact sur les autres » ?
Deuxième exemple avec Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. En septembre 2019, elle dénonçait sur les ondes de la radio RTL les militants qui s’introduisent dans les élevages caméra au poing : « les radicalisés peuvent aller faire leur propagande ailleurs, mais de grâce, laissez les gens respirer, et manger ce qu’ils veulent. »
On retrouve ici la question du statut ontologique de l’animal : peut-on invoquer la liberté individuelle des humains (manger ce qu’ils veulent) et contraindre des animaux à « vivre » dans des conditions d’élevage abominables (absence de lumière, entassement et encagement, castration à vif, etc.) ? Par ailleurs, on sait maintenant que la production de viande a un impact majeur sur la planète : elle est source de réchauffement (l’élevage produit des gaz à effets de serre), de déforestation (l’importation massive de soja d’Amérique latine pousse à la déforestation pour augmenter les surfaces cultivables), et très consommatrice d’eau (pour produire les céréales destinées à l’alimentation du bétail notamment).
Concluons en soulignant l’évidence : pratiquer la chasse ou manger de la viande n’est pas seulement un acte individuel, c’est aussi politique. Il s’agit nécessairement de politique puisque ces pratiques ont des conséquences pour l’ensemble des vivants. Cela, Willy Schraen et Christiane Lambert le savent très bien, mais reconnaître la dimension politique serait accorder un statut trop légitime à leurs opposants, quand il est tellement plus facile de les traiter « d’extrémistes », de « radicalisés » ou encore « d’ayatollahs verts ».