Travailleur social ne parvenant pas à trouver un emploi dans la région de Lorient, le personnage du récit se résout à pointer à l’usine pour subvenir à ses besoins. Il commence par une usine de fruits de mer avant d’enchaîner par l’abattoir. C’est ce quotidien que raconte Joseph Ponthus à travers le témoignage sensible et sincère d’un ouvrier dans la Bretagne contemporaine.
Morceaux choisis.
Joseph Ponthus dit le productivisme à l’heure de la mondialisation :
« Toutes les crevettes nous les recevons congelées en provenance du canal de Madagascar du Pérou d'Inde du Nigeria du Guatemala d'Equateur. […] Il est fréquent que nous produisions plus de dix mille couronnes de crevettes apéro par jour a raison d'une bonne vingtaine de mini-crevettes apéro par couronne ».
Il dit la violence du travail à l’usine :
« À l'abattoir J'y vais comme on irait À l'abattoir »
« La semaine prochaine J'ai rencard chez le kiné Mon corps commence doucement à être ravagé par ce bon mois de carcasses Tout mon corps Mes muscles mes articulations mes lombaires mes cervicales Le reste de mon corps dont je ne sais pas le nom »
Il dit les gestes qui échappent aux contrôles :
« Je m'estime dans mon droit de manger à ma faim sur mon lieu de travail Et d'emporter ce que mes poches peuvent à la maison Pour l'instant c'est du détournement Artisanal Deux langoustes par-ci Une pince de crabe par-là Mais à partir de maintenant On va passer dans le sérieux »
Joseph Ponthus dit, comme Nietzsche, que « le travail est la meilleure des polices ». Il dit l’aliénation de la précarité qui empêche les travailleurs de lutter :
« Les vieux de l'abattoir racontent aussi qu'à la belle époque révolue les intérimaires faisaient le piquet devant l'usine avec les titulaires […] Aujourd'hui les choses sont claires Un intérimaire en grève Ce qui est pourtant son droit Et bye bye Logique patronale évidente […] Je rêve d'être en grève Comme quand j'avais un vrai boulot et que je ne risquais rien Je rêve de pouvoir aller à la manif Mais je sais que lorsque je rentrerai je serai trop crevé »
Il dit le travail désincarné et la froideur de notre société contemporaine :
« Quelle poésie trouver dans la machine la cadence et l'abrutissement répétitif Dans les machines qui ne fonctionnent jamais ou qui vont trop vite Dans cette nuit sans fin éclairée de néons blafards sur les carreaux blancs des murs les inoxes des tables de travail les tapis mécanniques et le sol marronnasse Dans les animaux morts que l'on travail à longueur de nuit puis de matin Aucun oiseau ne vient jamais par une ouverture dérobée s'introduire dans nos ateliers Les seuls animaux vivants sont les rats qu'on combat près des poubelles extérieures. »
A la ligne – Feuillets d’usine, Joseph Ponthus, Éditions De la Table ronde, Paris, 2019.