Dissonances – Drogheda [15/21]

En voiture avec Dariâ depuis trente minutes le trajet s’annonçait bien. De manière anodine elle avait posé sa main sur ma cuisse, un geste comme une marque de confiance, un écart malicieux avec la bienséance. Arrivée d’Iran pour étudier l’immunologie au Trinity college, Dariâ vivait sur Dublin depuis cinq ans, elle avait de grands yeux marron, de longs cheveux noirs et un accent anglais des plus sexy. La ceinture de sécurité qui passait au milieu de sa poitrine mettait en valeur ses seins arrogants de jeunesse.

— c’était optimiste de faire du stop aussi tard, dit-elle.
— disons qu’il y a beaucoup de trafic vers Dublin et que j’avais repéré une auberge en cas d’échec. Ce que je n’avais pas prévu, c’était de rencontrer une conductrice aussi charmante.
— c’est gentil ça, réagit-elle tout sourire. Il y a une aire d’autoroute au niveau de Drogheda, je ferais bien une pause.
— c’est toi qui décides, répondis-je.

On atteignit l’aire de repos quelques minutes plus tard, on laissa derrière nous les pompes à essence puis une série de poids lourds garés pour la nuit. On parcourut encore une centaine de mètres le long d’un bosquet avant de stationner la voiture sur la zone réservée aux véhicules légers. Dariâ retira la clef du démarreur, je saisis son visage pour l’embrasser. La jeune femme glissa sa langue dans ma bouche et ne tarda pas à faufiler ses doigts sous mon caleçon. Le vice de Dariâ m’excitait terriblement. Je passai la main sous son débardeur pour atteindre son sein nu, je fis rouler son téton entre mes doigts avant de le pincer fermement. Le poignet qui caressait ma verge accéléra.
J’abandonnai sa poitrine pour déboutonner son jean, je voulus saisir sa bouche à nouveau quand j’aperçus un type sortant du bois. Le bonhomme remontait sa braguette en nous regardant d’un air narquois, il semblait avoir assisté à nos ébats depuis le début. Notre voiture était garée dans un renfoncement mais les lampadaires éclairaient suffisamment l’habitacle pour en distinguer l’intérieur. Nos regards se croisèrent brièvement, l’homme repartit sans insister davantage.

Je me tournai vers Dariâ pour l’enlacer à nouveau, je posai un baiser sur ses lèvres. La belle Persane saisit mon poignet pour l’emmener jusqu’à son pubis. Mon majeur passa sous sa culotte et pénétra ses chairs humides. Sa respiration se fit plus pressante. Elle lâcha mon sexe, tira son slip complètement et reprit une position lascive. J’enfonçais un deuxième doigt, ses ongles griffèrent ma cuisse jusqu’au sang. Un sifflement retentit à l’extérieur. Un type sortit du bosquet, du même endroit exactement que le précédent. Il passa le long de la bagnole et siffla à nouveau deux coups brefs. Un autre individu surgit de l’arrière et fit le tour du véhicule, il arborait un « v » d’une main et mimait le geste masturbatoire de l’autre. Les deux pervers tournaient autour de nous comme des requins attirés par le sang. Dariâ se couvrit du mieux qu’elle put, j’enfilai mon t-shirt et mon pantalon à la hâte. En une fraction de seconde, l’ambiance devint sordide.

— des amis à toi ? demandai-je.
— très drôle, persifla-t-elle. On bouge, ces mecs me font flipper.
Dariâ boucla sa ceinture, démarra l’auto et quitta l’aire d’autoroute pour récupérer la voie rapide. Ses gestes étaient brusques, son visage fermé, il lui fallut plusieurs minutes avant de pouvoir décrocher un mot.
— il y a vraiment des détraqués, dit-elle.
— le monde est plein d’obsédés n’ayant qu’une seule idée en tête, fourrer leur queue partout où c’est possible. Et comme l’illustrent les nombreux témoignages de sous-mariniers, l’imagination masculine n’a pas de limite.
— heureusement qu’il existe des gentlemen comme toi.
— merci, ça me touche ce que tu dis. Vraiment.

En adressant ces mots à Dariâ, je remarquai la voiture sur notre droite qui prenait son temps pour doubler, elle restait à notre niveau sans nous dépasser alors que la situation le lui permettait. En regardant plus attentivement le conducteur, je reconnus un des voyeurs présents sur l’aire de repos.
— on est suivi ! criai-je sans réfléchir.
— arrête tes conneries, c’est pas drôle.
— le chauffeur, là, il était sur le parking, j’en suis sûr. Ce taré veut continuer à se palucher la nouille.

Après nous avoir identifiés et s’être fait remarquer, le véhicule ralentit et se plaça derrière nous. Dariâ, les mains agrippées au volant et le visage livide, m’interpella d’une voix tremblante.
— qu’est-ce qu’on fait Pierre ? Elle pointa du doigt le sac à mes pieds. Mon portable, appelle les flics.
— calme-toi, ça va aller, dis-je sans en être certain. On est à vingt bornes de Dublin, on va emprunter les routes secondaires pour le décourager. S’il nous suit toujours en ville, on appellera la police.
Dariâ secouait la tête pour mieux repousser mes paroles.
— les porcs comme lui ne lâchent pas si facilement.
— on verra bien, pour l’instant on ne craint rien.
— c’est un cauchemar ce trajet, dit-elle d’une voix angoissée. Dès qu’on arrive à Dublin, je te dépose et je rentre chez moi.
— sérieusement ? Tu vas laisser un vicelard ruiner notre rencontre ?
— je veux rentrer chez moi, fermer ma porte à double tour et oublier cette histoire de dingue.

Vingt-cinq minutes plus tard, Dariâ me déposait au pied du premier hôtel venu, le sociopathe de son côté avait cessé de nous suivre depuis un moment. Je récupérai mon sac sur la banquette arrière et je saluai la belle Persane d’un baiser sur le front. Toujours choquée par l’incident, elle s’excusa pour la tournure des événements puis disparut au coin de la rue au volant de son auto.

Au guichet l’hôtesse souriait de toutes ses dents, l’hôtel ne proposait plus que la Suite Royale, une chambre à deux cent dix euros la nuit. N’ayant jamais dépensé une telle somme pour poser ma gueule sur un matelas je tiquai. L’employé perçut mes réticences et me baratina sur la qualité de la literie, les nombreux services et l’opulence du petit déjeuner. J’hésitai, non pas à cause du déballage de luxe mais parce que j’étais épuisé. Je n’avais plus la force de me battre, je souhaitais seulement poser mon sac et dormir. Après un moment de doute, la lassitude l’emporta sur la raison, je sortis ma carte bleue.

Un employé porta mon sac jusqu’à la Suite Royale et emporta mes fringues sales à la laverie, je pris un bain chaud puis je consommais tout ce que le mini-bar contenait de liquide. Il était presque minuit, je me lovais au fond du lit et je lançais une chaîne câblée qui diffusait un film porno.

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« Dissonances » est disponible en version papier ou PDF sur le site de l’éditeur : https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=66949

Crédit photo : qwesy qwesy (CC-BY-3.0) ; Heather on her travels (CC-BY-NC-2.0)