De la démocratie en Armorique ?

Le dossier sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes draine son lot de rebondissements et n’en finit pas de nous surprendre. Le Canard Enchaîné révélait en février que le préfet des Pays de la Loire avait demandé une étude à la DREAL* afin de mesurer l’impact de l’aéroport de Nantes-Atlantique, et son éventuel agrandissement, sur le lac de Grand-Lieu classé « Natura 2000 ». Bien que Manuel Valls assurait récemment devant le Sénat que tout agrandissement de l’aéroport était impossible pour des raisons écologiques, les services de la DREAL ont affirmé en septembre 2014, l’absolu contraire.

Cette dissimulation s’ajoute aux analyses du Cedpa* démontrant que les études de la DGAC* ont été trafiquées pour rendre possible la Déclaration d’Utilité Publique. Cette même DUP qui a été signé par un préfet ayant rejoint la société Vinci quelques mois après l’arrêt de ses fonctions publiques. Toujours à propos de NDDL, ajoutons les critiques de la Commission Européenne estimant que « la République française a manqué aux obligations qui lui incombent », et on constatera aisément que le navire AGO prend l’eau de toute part. La consultation imposée par Hollande et Valls apparaît comme la dernière possibilité pour sauver le projet, bien plutôt que comme un outil de démocratie participative.

Mais si les « représentants » du peuple parviennent à maintenir hors de l’eau un projet vérolé de part en part, c’est au prix d’efforts constants. En prenant soin notamment de ne jamais évoquer le fond de l’affaire. Ainsi, Manuel Valls répondait à une question précise du sénateur Ronan Dantec à propos du calendrier du projet de la manière suivante : « J’aurais aimé vous entendre sur un point, l’occupation illégale et sur ce que vive les habitants dans cette zone ». La réponse – qui ne manque pas de susciter les applaudissements de la droite – illustre parfaitement la stratégie du contournement mise en place depuis quelques temps par le pouvoir. Cette stratégie poursuit deux objectifs : éviter le débat de fond et stigmatiser les opposants afin que la population se désolidarise de la lutte.

C’est précisément dans cette optique qu’il faut comprendre l’intervention du préfet de Loire-Atlantique déclarant que « l’opposition institutionnelle à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes doit cesser d’être la vitrine légale d’un mouvement armé ». Ou encore l’ancien président de région Jacques Auxiette assimilant les opposants à des terroristes en déclarant que l’évacuation de la Zad, « ce n’est pas plus compliqué qu’au Mali ». Toujours dans le même ordre d’idée, l’actuel président des Pays de la Loire, Bruno Retailleau, évoquait Notre-Dame-des-Landes en ces termes : « on se croirait à Damas ou à Mossoul ».

Concrètement, à quoi renvoient ces accusations graves énoncées par des élus de la République et un haut fonctionnaire de l’État ? Elles renvoient à des vitrines brisées, des sabotages matériels, des tags ou encore des pneus crevés. On peut parfaitement être en désaccord avec ces procédés, mais en quoi relève t-ils de la guerre ou du terrorisme ? Et si ces actions qui ne blessent personne sont qualifiées « d’ultra-violentes », comment qualifier les mutilations de la police à coup de flashball ?

La stratégie du contournement révèle une contradiction manifeste : soit les élus respectent la population en ne l’abreuvant pas de mensonges et de tromperies, soit ils discréditent ce qu’ils prétendent incarner, c’est à dire la « légitimité démocratique ». En d’autres termes, on ne peut prétendre incarner l’intérêt collectif et se comporter comme le vulgaire porte flingue de Vinci.

Car invoquer la « légitimité démocratique » pour justifier des actions partisanes accentue davantage la « crise de la représentation » invoquée à chaudes larmes dans les médias. Une « représentation démocratique » déjà en piteuse état, comme l’illustre par exemple l’élection du président des Pays de la Loire en décembre 2015. Bruno Retailleau a été élu par deux habitants sur dix : un électeur sur deux ne s’est pas déplacé (abstention et non-inscrits), et 42% des votants lui ont « accordé leur confiance ». Peut-on dans ce cas parler de « légitimité démocratique » ou de « démocratie représentative » ?

Qu’à cela ne tienne, Bruno Retailleau fanfaronne : « J’ai été élu sur l’idée qu’il faut faire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ! » Une posture logique si l’on confond élection et légitimité. Et précisément, si les élus répètent le mot « démocratie » à chacune de leur intervention, c’est bien pour conjurer l’absence de légitimité.

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* Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement
* Collectif d’élus doutant de la pertinence de l’aéroport
* Direction Générale de l’aviation civile
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